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Minerve conduisant la Paix à l’hôtel de ville (la paix de 1763) - Hallé

Série de l'image :

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Date :
1767
Nature de l'image :
Peinture sur toile
Dimensions (HxL cm) :
324x457 cm
MV 7536 ; INV 5278 ; B 647.
Œuvre signée
Œuvre datée

Analyse

Le 10 février 1763 était signé le traité de Paris qui mettait fin à la guerre de sept ans. Louis XV décide d’organiser, du 20 au 22 juin une grande fête à Paris pour commémorer l’événement. Les cérémonies de la Publication de la paix en juin (dont Hallé propose ici une représentation allégorique) ne doivent donc pas être confondues avec la signature même du traité en février.

Lundi 20 juin, on inaugura la statue équestre de Louis XV par Bouchardon sur la nouvelle Place Louis XV (actuelle place de la Concorde). Il y eut le soir un très fort orage, qui limita les réjouissances populaires. Mardi 21 juin est réservé à la publication officielle de la paix par les Magistrats de Paris, en grand cortège et accompagnés de fanfares, en quatorze endroits différents de la capitale (voir Arch. nat., K 1719 D, N°4). Le 22 juin, Paris est illuminée, un feu d’artifice est tiré le soir sur la Seine et agrémenté d’un décor flottant allégorique, que décrit le Mercure (juillet 1763, vol. II, p. 23sq).

En même temps que les Magistrats de la Ville conduisent ces célébrations, les Parlementaires font remonter leurs remontrances au roi : lundi 20, lecture au Parlement des remontrances au roi sur les édits du lit de justice. Ces remontrances portent essentiellement sur l’administration des finances, elles visent les financiers et les ministres du Roi, et protestent contre les nouveaux impôts. Le 22, le Parlement, le Conseil, les Cours souveraines et le Corps de Ville chantent un Te Deum à Notre-Dame. Le 24, le Roi donne sa réponse aux Remontrances : « Je suis sensible aux efforts que mon peuple a faits pendant la guerre ; j’aurois voulu pouvoir les soulager, et j’avois prévu les observations de mon Parlement ; mais les charges de l’État m’ont obligé de donner mes édits, auxquels je ne puis rien changer. Mon Parlement en everra l’avantage dans l’exécution. »
(Voir Edmond-Jean-François Barbier, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763), Charpentier, 1866, p. 80-84. Barbier est avocat consultant au Parlement de Paris, il écrit son journal jour après jour.)

La scène de Hallé ne correspond à aucun de ces trois jours : Hallé peint l’intérieur de l’hôtel de ville. Or les cérémonies du premier jour se déroulent place Louis XV. Le second jour, les magistrats sont à cheval et parcourent les rues de Paris. Le troisième jour est consacré aux illuminations. On s’accorde cependant à reconnaître la ressemblance des magistrats du Corps de Ville : Jean-Baptiste-Élie Camus de Pontcarré de Viarmes, prévôt des marchands, en robe rouge, les quatres échevins en robe noire et manteau rouge, Louis Mercier à gauche derrière le prévôt, à sa gauche et nous regardant, Laurent-Jean Babille, derrière, Pierre de Varennes et André-Guillain Deshayes. On voit aussi le procureur du roi Jollivet, le greffier Taitbout et, tout à gauche du tableau, le colonel Hay.
(Voir le Voyage pittoresque de la France, 1784, t. VII, Tableaux, N°14.)

Sur le mur du fond, au-dessus des magistrats, le bas-relief représente la Ville de Paris assise devant un bateau pris dans les flots d’une tempête : fluctuat nec mergitur, c’est la devise de Paris.

Livret du Salon de 1767 :

« Par M. Hallé, Professeur.
13. Un Tableau allégorique au sujet de la Paix dernière.
Minerve annonce la Paix à la Ville de Paris, & conduit elle-même cette Déesse qui, tenant une corne d’abondance, en fait sortir des fleurs, qui se répandent sur les Génies des Sciences et des Arts, & sur leurs attributs.
Ce Tableau doit être placé dans la Grande-Salle de l’Hôtel de ville. Il a 14 pieds de large sur 10 pieds de haut. »

Commentaire de Diderot :

« Minerve conduisant la Paix à l’hôtel de ville
Tableau de quatorze pieds de large, sur dix pieds de haut.
Énorme composition, énorme sottise. Imaginez au milieu d’une grande salle, une table carrée. Sur cette table, une petite écritoire de cabinet, et un petit portefeuille d’académie. Autour, le prévôt des marchands, ou une monstrueuse femme grosse déguisée, tout l’échevinage, tout le gouvernement de la ville, une multitude de longs rabats, de perruques effrayantes, de volumineuses robes rouges et noires, tous ces gens debout, parce qu’ils sont honnêtes ; et tous les yeux tournés vers l’angle supérieur droit de la scène d’où Minerve descend accompagnée d’une petite Paix, que l’immensité du lieu et des autres personnages achève de rapetisser. Cette rapetissée et petite Paix laisse tomber d’une corne d’abondance, des fleurs, sur quelques génies des sciences et des arts, et sur leurs attributs.
Pour vaincre la platitude de tous ces personnages, il aurait fallu l’idéal le plus étonnant, le faire le plus merveilleux, et M Hallé n’a ni l’un ni l’autre. Aussi sa composition est-elle aussi maussade qu’elle pouvait l’être. C’est une véritable charge. C’est encore une esquisse tristement coloriée. C’est un tableau à moitié peint sur lequel on a passé un glacis. Toutes ces figures vaporeuses, vagues, soufflées ressemblent à celles que le hasard ou notre imagination ébauche dans les nuées. Il n’y a pas jusqu’à la salle et à son architecture grisâtre et nébuleuse qui ne [se] puisse prendre pour un château en l’air. Ces échevins ne sont que des sacs de laine ; ou des colosses ridicules de crème fouettée ; ou si vous l’aimez mieux, c’est comme si l’artiste avait laissé une nuit d’hiver sa toile exposée dans sa cour et qu’il eût neigé dessus toute cette composition. Cela se fondra au premier rayon de soleil ; cela se brouillera au premier coup de vent. Cela va se dissiper par pièces comme le commissaire dans la Soirée des boulevards.
On dirait que M. le prévôt des marchands invite Minerve et la Paix à prendre du chocolat. Toutes les têtes de la même touche, et coulées dans le même creux. Les robes rouges bien symétriquement distribuées entre les robes noires. Minerve crue de ton. Génies d’un vert jaunâtre. Même couleur aux fleurs. Elles sont lourdement touchées et sans finesse. Monotonie si générale du reste, si insupportable qu’on ne saurait y tenir un peu de temps, sans avoir envie de bâiller. Autour de la Minerve, ce n’est pas un nuage, c’est une petite fumée ou vapeur gris de lin ; et les figures qu’elle soutient sont tournées, contournées, mesquines, maniérées, sans noblesse. Ces fleurettes jetées devant ces gros et lourds ventres de personnages rappellent malgré qu’on en ait le proverbe, margaritas ante porcos. Et ces marmots à physionomie commune, mal groupés, mal dessinés, vous les appelez des génies ; ah monsieur Hallé ! vous n’en avez jamais vu. Les attributs dispersés sur le tapis sont sans intelligence et sans goût.
Dans ce mauvais tableau, il y a pourtant de la perspective, et les figures fuient bien du côté de la porte du fond. Il y a un autre mérite que peu d’artistes auraient eu et que beaucoup moins de spectateurs auraient senti ; c’est dans une multitude de figures, toutes debout, toutes vêtues de même, toutes rangées autour d’une table carrée, toutes les yeux attachés vers le même point de la toile, des positions naturelles, des mouvements de bras, de jambes, de têtes, de corps si variés, si simples, si imperceptibles, que tout y contraste, mais de ce contraste inspiré par l’organisation particulière de chaque individu, par sa place, par son ensemble ; de ce contraste non étudié, non académique, de ce contraste de nature. Ces vilaines figures ont je ne sais quoi de coulant, de fluant depuis la tête aux pieds qui achève par sa vérité de faire sortir le ridicule des grosses têtes, des grosses perruques, et des gros ventres. C’est la véritable action d’être fagotés comme ceux-là. Une ligne d’exagération de plus, et vous auriez eu une assemblée de figures à Callot qui vous auraient fait tenir les côtés de rire. Rien ne serait plus aisé, avec un peu de verve, que d’en faire une excellente chose en ce genre. Tout s’y prête. »

Annotations :

1. Signé et daté sur un côté de la table « hallé 1767 ».

2. Le tableau était destiné à la grande salle de l’Hôtel de ville de Paris. Il a été commandé une première fois le 23 août 1763 à Jean-Baptiste Deshays par la Ville de Paris pour commémorer la proclamation le 21 juin du traité signé le 10 février 1763. Mais Deshays meurt en 1765 sans avoir exécuté le tableau. La Ville passe alors commande, le 17 octobre 1765, à Noël Hallé.
Il est exposé au Salon de 1767, entre le Saint Denis de Vien et le Miracle des Ardents de Doyen, puis accroché dans l’escalier de la bibliothèque de la Ville, dont Jean-Baptiste de Pontcarré de Viarmes était le fondateur.

3. Etude de Minerve et de la Paix et Portrait de l’échevin Louis Mercier conservés au musée Carnavalet à Paris.
Le tableau a été gravé par Née d’après un dessin de Cochin.

Composition de l'image :
Objets :
Tableau sur le mur
Table
Spectateur à la porte
Putto, putti, Amour
Perspective d’architecture
Marches
Les personnages font groupe et constituent la scène
Génie, dieu ou ange volant
Estrade
Colonnade
Sujet de recherche :
S. Lojkine, De la figure à l’image : l’allégorie dans les Salons de Diderot

Informations techniques

Notice #001041

Image HD

Identifiant historique :
A0360
Traitement de l'image :
Image web
Localisation de la reproduction :
Collections en ligne du château de Versailles
Bibliographie :
Nicole Willk-Brocard, Une dynastie. Les Hallé, Arthéna, 1995
n° N99, p. 421
Diderot, Salons de 1767-69, éd. Bukdahl, Delon, Lorenceau, Hermann, 1990
n°  8 après p. 82 ; texte p. 88