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Les Arts suppliants le Destin d’épargner Mme de Pompadour - Carle Vanloo

Série de l'image :
Date :
1765
Nature de l'image :
Peinture sur toile
Dimensions (HxL cm) :
76,8x66,4 cm
Lieu de conservation :
1970.32
Œuvre signée
Œuvre datée

Analyse

Livret du Salon de 1765 :

« Par feu M. Carle Vanloo, premier Peintre du Roi, Chevalier de son Ordre, Directeur de l’Académie Royale de Peinture & de Sculpture, Directeur de l’Ecole Royale des Elèves protégés.
N° 1. […]
6. Tableau Allégorique.
De 2 pieds 5 pouces de haut, sur 2 pieds. Ce Tableau appartient à M. le Marquis de Marigny. »

Titre complet : Les Arts suppliants demandant au Destin d’épargner la vie de Madame de Pompadour.

Mercure de France, octobre 1765, p. 149-150 :

« Rien n’étoit plus propre à ajouter aux regrets universels de la perte d’un aussi grand Peintre, si ce n’est un tableau allégorique, composé dans le temps qu’un vain espoir avoit flatté de conserver les jours d’une personne bien chère & bien utile aux lettres & aux arts qu’elle protégeoit par goût, par l’attrait de ses lumières naturelles & des connoissances acquises, ainsi que par une constante inclination à la bienfaisance. Le haut de ce tableau est occupé par le Destin qui retient la main d’Atropos, prête à couper le fil mystérieux  ; les autres Parques, dont l’une file & l’autre tient la quenouille, sont rangées sur des nuages, dans des plans variés  ; autour du Destin, dans la patrie terrestre, sont des femmes alarmées, chacune avec les attributs de l’art qu’elle représente  ; elles ont toutes les mains élevées vers le Ciel pour implorer la puissance du Destin, & suspendre, s’il est possible, la fureur précipitée de la cruelle Atropos. La disposition & l’ordonnance de toutes les parties de cette composition sont admirables, & nous ne craignons point d’être démentis par les connoisseurs, elles sont presque supérieures à l’Auteur même. Tout respire, tout gémit, tout presse, dans ce tableau, d’une émotion à laquelle il n’est pas possible de se refuser  : si jamais la peinture a atteint au don de parler à l’âme, de toucher d’un sentiment vif & passionné, c’est dans cet ouvrage. Il semble que la conjoncture & l’intérêt qu’elle excitoit ayent donné au Peintre un nouveau génie & un degré de sublimité que ne prêtent point les seules forces de l’art. Si quelqu’un de ceux qui voient superficiellement les tableaux, qui ne sont frappés que par leur grandeur, ou sensibles à proportion de la familiarité des sujets, sont étonnés des éloges que nous donnons à celui-ci, qu’ils daignent relire ce que nous avons dit à ce sujet au commencement de cet article, qu’ils consultent eux-mêmes les maîtres de l’art, avant que de prononcer sur la justesse de notre observation (6).  » (6) Ce tableau appartient à M. le Marquis de Marigny, qui doit, a double titre, en être possesseur. Cet ouvrage doit être précieux au protecteur le plus éclairé des arts.

Commentaire de Diderot :

« Tableau allégorique de deux pieds cinq pouces de haut, sur deux pieds de large. Il appartient à M de Marigny. Les Arts désolés s’adressent au Destin pour obtenir la conservation de Mme de Pompadour, qui les protégeait en effet. Elle aimait Carle Vanloo. Elle a été la bienfaitrice de Cochin. Le graveur Guay avait son touret chez elle. Trop heureuse la nation si elle se fût bornée à délasser le souverain par des amusements, et à ordonner aux artistes des tableaux et des statues ! On voit à la partie inférieure et droite de la toile la Peinture, la Sculpture, l’Architecture, la Musique, les Beaux-Arts, caractérisés chacun par leurs vêtements, leurs têtes et leurs attributs, presque tous à genoux, et les bras levés vers la partie supérieure et gauche où le peintre a placé le Destin et les trois Parques. Le Destin est appuyé sur le Monde. Le livre fatal est à sa gauche, et à sa droite l’ urne d’ où il tire la chance des humains. Une des Parques tient la quenouille, une autre file, la troisième va couper le fil de la vie chère aux Arts ; mais le Destin lui arrête la main. C’est un morceau très précieux que celui-ci. Il est du plus beau fini. Belles attitudes, beaux caractères, belles draperies, belles passions, beau coloris, et composé on ne peut mieux. La Peinture devait se distinguer entre les autres Arts : aussi le fait-elle. La plus violente alarme est sur son visage. Elle s’élance. Elle a la bouche ouverte ; elle crie. Les Parques sont ajustées à ravir. Leur action et leurs attitudes sont tout à fait naturelles. Il n’y a rien à désirer ni pour la correction du dessin, ni pour l’ordonnance, ni pour la vérité. La touche est partout franche et spirituelle. Les juges difficiles disent que la couleur trop entière des figures nuit à l’harmonie de l’ensemble. La seule chose que je reprendrais, si j’osais, c’est que le groupe du Destin et des Parques, au lieu de fuir, vient en devant. La loi des plans n’est pas observée. Ils accusent encore les parties inférieures des Parques d’être un peu grêles. Cela se peut. Ce qui m’a semblé de ces figures, c’est qu’elles étaient d’un excellent goût de dessin. Peut-être que Vernet demanderait que les nuages sur lesquels elles sont assises fussent plus aériens. Mais qui est-ce qui fera des ciels et des nuages au gré de Vernet, si la nature ou Dieu ne s’en mêle ? Une lueur sombre et rougeâtre s’échappe de dessous les vêtements et les pieds de la Parque au ciseau ; ce qui fait concevoir une scène qui se passe au bruit du tonnerre et aux cris des Arts éplorés. On voit au côté gauche du tableau, au-dessous des Parques, une foule de figures accablées, désolées, prosternées ; c’est la Gravure, avec des élèves. Cela est beau, très beau, et partout les tons de couleur les mieux fondus et les plus suaves. C’est le morceau qu’un artiste emporterait du Salon par préférence ; mais nous en aimerions mieux un autre, vous et moi, parce que le sujet est froid, et qu’il n’y a rien là qui s’adresse fortement à l’âme. Cochin, prenez l’allégorie de Vanloo, j’y consens ; mais laissez-moi la pleureuse de Greuze. Tandis que vous resterez extasié sur la science de l’artiste et sur les effets de l’art, moi, je parlerai à ma petite affligée, je la consolerai, je baiserai ses mains, j’essuierai ses larmes ; et quand je l’aurai quittée, je méditerai quelques vers bien doux sur la perte de son oiseau. Les Suppliants de Vanloo n’obtinrent rien du Destin, plus favorable à la France qu’aux Arts. Mme de Pompadour mourut au moment où on la croyait hors de péril. Eh bien ! qu’est-il resté de cette femme, qui nous a épuisés d’hommes et d’argent, laissés sans honneur et sans énergie, et qui a bouleversé le système politique de l’Europe ? Le traité de Versailles, qui durera ce qu’il pourra ; l’Amour de Bouchardon qu’on admirera à jamais ; quelques pierres gravées de Guay, qui étonneront les antiquaires à venir ; un bon petit tableau de Vanloo qu’on regardera quelque fois, et une pincée de cendres. »

Annotations :

1. Signé et daté en bas à droite : « Carle Vanloo 1764 ».

2. Marigny était le frère de la Pompadour…

Objets :
Parques

Informations techniques

Notice #001799

Image HD

Identifiant historique :
A1118
Traitement de l'image :
Image web
Localisation de la reproduction :
https://artsandculture.google.com (Google Arts & Culture)
Bibliographie :
Diderot, Salon de 1765, éd. E. M. Bukdahl, A. Lorenceau, G. May, Hermann, 1984
Texte pp. 38-40
Xavier Salmon, Mme de Pompadour & les arts, RMN, 2002
n° 41, p. 168 (Reproduction inversée, remise à l’endroit dans Utpictura18)