Aller au contenu principal

L’allée des marroniers (Rétif, Nuits de Paris, 1788, t. III) - Sergent

Date :
Entre 1788 et 1789
Nature de l'image :
Gravure sur cuivre
Dimensions (HxL cm) :
12,8x8
Sujet de l'image :
8-Z LE SENNE-5618 (5)

Analyse

Le Spectateur-nocturne, en se promenant dans l’ancien Palais-Royal, rencontre une dame charmante et mystérieuse, avec qui il lie la conversation :
    « XÇII NUIT.
   L’ANCIEN PALAIS-ROYAL.
   Pendant une semaine entière, je me rendis tous les soirs dans ce Jardin, pour la cause que voici. J’étais entré dans la seconde cour pour traverser le passage de la rue de-Richelieu. Je voulais, ce soir-là, m’arrêter un instant devant la maison qui fait le coin de la rue-Traversière, pour voir ce qu’étaient devenues deux Sœurs, dont l’Une était adorée du Malade-d’amour. Je fus distrait de ce projet par une Jeune-ét-jolie-personne, qui entra dans le Jardin. Je ne savais que penser sur son compte, ét je la suivis par instinct. Elle s’arrêta vers la grille du Jardin particulier, où étaient alors quelques Oiseaux étrangers, qu’on entrevoyait. Elle me parla la première, ét m’en demanda le nom. Je lui repondis, Que c’étaient differentes varietés du Canard d’Amerique, qui languissaient dans nos climats. Le Jardin était fort solitaire ; ce n’était pas jour d’Opera. Elle quitta la grille, ét je l’accompagnai, en causant avec elle. Nous alames sur le bord du grand bassin, où étaient encore les deux Cygnes, avant qu’on y mîts les Poissons rouges & dorés des Chinois. Nous parlames du Cygne qui ne chante pas : mais la Belle-personne me dit, qu’il y avait une opinion, pour soutenir que certains Cygnes du Pô, en Italie, dont l’espèce était apparemment détruite, avaient melodieusement chanté. A ce mot, je changeai d’opinion sur ma Compagne, que j’avais regardée comme une Chauvesouris un-peu plûs distinguée que les Autres. Nous quittames le bassin, ét nous vinmes dans l’alée-solitaire-du-meridien : Nous parlames physique, astronomie : Je me trouvai ici un-peu plus savant que la Dame, ét elle m’écouta. Nous fimes trois fois le tour du Jardin. Au quatrième commencé, à dix maisons du Jardin particulier, ét grillé du Prince, la Belle-personne (car elle était charmante), tira une clef de s apoche, ouvrit une porte-de-treillage, me fit un leger salut, ét rentra. Je restai presqu’immobile. J’avaisn pensé qu’elle sortirait du Jardin avec moi, ét que j’aurais encore quelque-temps le plaisir de causer avec elle : Je me voyais deçu de mes esperances. J’en fus amplement consolé, par l’assurance de l’honnêteté de Celle avec qui je venais de causer. J’attendis, pour voir, si je l’apercevrais à une croisée. Je ne vis rien. Je remarquai bien la maison, en la comptant, depuis le Café-de-Foi, ét depuis le Jardin grillé ; je fis le tour, et j’alai dans la rue-de-Richelieu. Je vis la porte cochère : Je demandai au Suisse, Quelle était lz Dame qui venait de rentrer par le Palais-royal ? — Qu’est-ce que cela vous fait -? Puis, sans me parler, il dit à un Domestique : — N’est-ce pas Madame la Duchesse de ***, qui vient de traverser la cour ? — Oui (dit le Laquais), en robe couleur-de-tabac : Son carosse l’attendait. — Voyez, me dit le Suisse, à son hôtel, rue -… Je me retirai, profondement étonné.
    J eme rendis chés la Marquise ; mais je en crus pas devoir parler encore de la rencontre du Palais-royal. » (Pp. 1085-1087.)
   Une seconde fois, un autre soir, le spectateur-nocturne converse avec cette dame. Mais la troisième rencontre est un quiproquo :
    « XÇIV NUIT.
   SUITE : L’ALÉE DES MARONIERS.
    Le Palais-royal m’atira encore malgré moi. Je me comportai comme la veille ; mais je n’eus pas le même bonheur. Je me promenais neanmoins, attentif à tous les carrosses qui arrivaient. Dans un moment où j’étais sous le couvert des tilleuls que borde l’alée du Meridien, je crus entrevoir la Belledame, qui passait rapidement. Je courus à elle, en lui coupant le chemin : Je la ren[c]ontrai face-à-face, ét je reconnus avec chagrin que je m’étais trompé : la Joliepersonne que je venais d’aborder était plûs jeune, ét je crus remettre ses traits, que je cherchais à me rappeler. Elle gâgna l’alée-des-Maroniers, dont l’obscurité m’empêcha d’éclaircir mes doutes. Une Femme qui l’accompagnait, lui dit fort-bas : Voila un Homme qui vous regarde ; est-il de votre connaissance ? — Non : je l’ai remarqué ; il n’en est pas. — En ce cas, votre santé exige que vous preniez l’air, estez ; mais ne vous promenez qu’ici -. J’écoutais, en marchant doucement, ét sans respirer. — Vous n’avez rien à craindre ! (pensai-je) ; au contraire, je voudrais pouvoir vous servir -!… Je suivais toujours. Dans un moment, la Jeune personne tira son mouchoir, ét laissa tomber un morceau de papier, que je ramassai. J’alais m’approcher, pour le lui rendre. Le temps que je fus à me baisser, elle disparut. Je vis une autre Femme devant moi, à-peu-près de sa tâille, ét ce fut ce qui me la fit manquer ; car je m’étais bien proposé de la voir rentrer : Cette erreur de Personne m’empêcha de la chercher assés vîte. Je fis encore quelques tours ; mais je ne la vis plus, quoique je regardasse sous le néz toute sles Femmes qui passaient.
    Tandis que j’étais occupé à cette recherche, j’entendis une grande-belle Femme, qui disait à une Autre : — Cette alée est charmante ! Quel ombrage ! quelle agreable obscurité -! Je reconnus sa voix : c’était la Duchesse. Elle continua. — Je n’ai pas rencontré l’Homme qui m’a parlé deux soirées de suite ! Je n’en avais pas encore vu de son espèce ! Il est poli, sans pretention, instruit : il paraissait prendre du plaisir à ma compagnie ; il m’a même fait deux ou trois complimens assés delicats ; mais il les jetait plutôt-là, qu’il ne me les adressait. Je voudrais le retrouver -. A ces mots, je me présentai. C’est vous ! Alons, nous alons passer dans un endroit plûs éclairé. Nous traversâmes les alées des tilleuls, ét nous côtoyames un des côtés de gason. La Dame qui accompagnait la Duchesse, me regardait cependant : Elle lui parla bas : Je m’aperçus qu’on s’éloignait, ét par discrétion je me tins où j’étais. On disparut, ét depuis, je n’ai plus rencontré la Dame ! Je présume que l’Inconnue, qui peutêtre n’était que la Femme-de-chambre, m’avait pris pour Un-autre, ét qu’elle avait cru me connaître. Au-reste, je sus tout ce qu’était la Belle-dame le soir-même, en la nommant ét la designant à la Marquise. La Belledame verra, par ce trait, en lisant ces Nuits, qu’on l’a trompée sur mon compte. Ce n’est pas la seule-fois qu’on m’a pris pour ma ressemblance.
    A mon arrivée chés moi, je tirai le papier que j’avais ramassé : la rencontre inattendue de la Belledame me l’avait fait oublier en route, ét chés la Marquise : Ce papier était ouvert ; je vis une adresse, ét j’y lus quelques mots, dont je ne compris pas le sens ; mais que je vais rapporter.
    “Je vous felicite, Mademoiselle, du parti que vous avez pris : Votre sort était d’autant plus incroyable, que vous paraissiez adorée. Aureste, vius savez tout ce qui s’est passé depuis : l’ostentation est au comble, ét vous tenez votre place dans la menagerie”. L’adresse était, “A Mademoiselle Pulquerie.”
    Je me proposai de montrer cette Lettre le lendemain à la Marquise. » (Pp. 1093-1096.)

Annotations :

2. Tome III. Planche après page de titre de la Cinquième partie, relative à la Nuit XCIV, p. 1093.
Au verso de la page de titre de la 4e partie, on peut lire, face à la gravure [dans Res p-Y2-229, la gravure est montée face à la p. 959 et LXXXIII Nuit, et non face à la description du sujet, contrairement aux gravures précédentes]
« [Filet]
Sujet de la FIGURE de la V.me Partie :
Le Spectateur-nocturne à l’ancien-Palais-royal, dans l’alée des Maroniers, suivant une Jeune-personne et sa Duègne, qui dit : “—Voila un homme qui vous examine” !
[Filet]
L’Auteur estimable de ces Nuits, qui a publié tant d’Ouvrages utiles ; dont un grand PRINCE fait executer le PORNOGRAPHE, est lâchement calomnié par deux Poliçons qui se couvrent du voile de l’anonyme ; il les meprise trop pour leur repondre : Mais moi, son Libraire, j’apprends à leur Censeur, s’ils en ont un, que mon Auteur est accueilli ét consideré, à Paris, de toutes les Personnes qui ont des mœurs ; Que ses deux derniers Ouvrages, les Françaises ét les Parisiennes, dont je ne suis pas le Libraire, ont tellement satisfait plusieurs Pères ét Mères-de-famille respectables, qu’ils voulaient solliciter pour lui le prix-d’utilité, que decerne annuellement l’Academie : — Non, non ! (repondit-il) ; cela est trop éloigné de la façon-de-voir de nos Beauxesprits-! J’apprens encore au Censeur des Calomniateurs infames, que mon Auteur n’imprima jamais rien sans l’attache d’un Censeur, ét que Celui que nous avons l’honneur ét le bonheur de consulter, est l’Homme le plûs respectable par son rang, ét le plus exemplaire par sés mœurs. Hé ! c’est lui qu’on laisse inculper par des Anonymes ! »

Objets :
La scène est observée par effraction
Sources textuelles :
Rétif de la Bretonne, Les Nuits de Paris (1788-9)
Sujet de recherche :
F. Tsang-Kwock, Les Nuits de Paris de Rétif, texte et illustration

Informations techniques

Notice #006458

Image HD

Identifiant historique :
A5777
Traitement de l'image :
Image web
Localisation de la reproduction :
https://gallica.bnf.fr