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Émilie dans son jardin (Théséide) - Barthélémy d’Eyck

Date :
Entre 1460 et 1465
Nature de l'image :
Enluminure
peinture sur parchemin
Sujet de l'image :
Codex M. S. 2617, fol. 53

Analyse

Émilie tresse une couronne de fleurs, épiée par deux prisonniers, Arcitas et Palémon. Elle est assise sur un banc de gazon, un élément caractéristique des jardins du 14e et du 15e siècles.
Après avoir vaincu les Amazones, Thésée s’est emparé de Thèbes et a fait prisonniers de nombreux chevaliers. Parmi eux, Arcitas et Palémon sont enfermés dans une prison à Athènes auprès des jardins de Thésée. Une jeune Amazone de la suite de la reine y vient le matin chanter et cueillir des fleurs. Arcitas et Palémon l’aperçoivent et en tombent amoureux. La rivalité amoureuse et l’amitié d’Arcitas et de Palémon font le sujet du poème. Thésée, qui est instruit de leur amour leur ordonne de combattre l’un contre l’autre et promet au vainqueur la main d’Émilie. Arcitas vainqueur est désarçonné par une Furie de l’Enfer et mortellement blessé. Il demande et obtient qu’on célèbre le mariage promis avant sa mort. Malgré le chagrin d’Émilie et de Palémon, Thésée les unit alors.
L’épisode qui est ici illustré se trouve au début du livre III (la Théséide en compte 12) :

St. 11
Al suon di quella voce grazioso
Arcita si levò, ch’era in prigione
allato al giardino amoroso,
sanza niente dire a Palemone,
e una finestretta disioso
aprì per meglio udir quella canzone,
e per vedere ancor chi la cantasse,
tra’ ferri il capo fuori alquanto trasse.

(Au son de cette voix, le gracieux Arcitas se lève. Lui qui était en prison, il alla au jardin d’Amour, sans rien dire à Palémon, et il ouvrit une petite fenêtre pour mieux entendre cette chanson, et aussi pour voir qui la chantait, à travers les barreaux il passa sa tête au dehors.)
Arcitas conduit alors Palémon également à la fenêtre et ils s’extasient de ce qu’ils voient et entendent.

St. 18
A quello omè la giovinetta bella
si volse destra in su la poppa manca ;
né prima altrove ch’alla finestrella
le corser gli occhi, onde la faccia bianca
per vergogna arrossò, non sappiendo ella
chi si fosser color ; poi, fatta franca;
co’ colti fiori in piè si fu levata,
e per andarsen si fu inviata.

(A ces mots la belle jeune fille se retourna, s’appuyant sur sa manche droite ; aussitôt, à la petite fenêtre, les yeux postés croisèrent les siens. Alors son blanc visage rougit de pudeur blessée, et elle ne savait pas qu’elle prenait cette couleur ; puis, se ressaisissant, elle laissa tomber les fleurs cueillies à ses pieds, se leva et se prépara à partir.)

Ce qui est fascinant dans cette enluminure, c’est de constater comment l’artiste y a disposé tous les éléments du dispositif scénique, un bon siècle avant sa généralisation dans la peinture d’histoire et dans l’iconographie narrative : le jardin entouré d’un chemin délimite un espace restreint, auquel s’oppose l’espace vague de la prison, depuis lequel Arcitas et Palémon observent Émilie. Le treillis de roses blanches et rouges, figurant la chasteté vertueuse et le désir passionné mêlés, est disposé entre les amants et la jeune femme aimée, à la manière d’un écran.
Pourtant, cela ne constitue pas un dispositif scénique à proprement parler : Tels que les personnages sont disposés, Arcitas et Palémon ne peuvent pas matériellement voir Émilie, qui pour eux est de dos, et cachée par les rosiers. L’image obéit à une organisation syntaxique, qui prime sur la logique visuelle : Les prisonniers (=Sujet, représenté à gauche) voient (=Verbe, figuré par l’écran) Émilie (=Prédicat, représenté à droite).
L’ancienne organisation du tabernacle est encore prégnante : la porte de l’hortus conclusus, visible au fond à droite, dessine le cadre du tabernacle dans lequel la Dame, transposition profane de la Vierge, devrait venir s’inscrire. Mais Émilie est assise sur le côté, décentrée par rapport à l’ancien dispositif.

Annotations :

3. La bibliothèque du château de Chantilly possède une traduction en prose française du XVe siècle ayant appartenu à Jacques d’Armagnac, duc de Nemours (Ms 601).
La Théséide a été traduite en grec au XVe siècle et a servi de source au Knight’s Tale de Chaucer.

Composition de l'image :
Objets :
La scène est observée par effraction
Fleurs
Fenêtre
Sources textuelles :
Boccace, La Théséide, vers 1340
Livre III, st. 8-19. L’enluminure se trouve avant la st. 5.
Sujet de recherche :
Stéphane Lojkine, cours sur La Princesse de Clèves

Informations techniques

Notice #006857

Image HD

Identifiant historique :
A6176
Traitement de l'image :
Scanner
Localisation de la reproduction :
Collection particulière (Cachan)
Bibliographie :
D. Thiébaut, Ph. Lorentz, F.-R. Martin, Primitifs français, RMN, 2004
Fig. 78, p. 138
E. Antoine et al., Sur la terre comme au ciel, Jardins d’Occident, RMN, 2002
p. 141